Itinérance, immigration et référendum de 95

L’État québécois a choisi de s’attaquer aux prières de rue, phénomène auquel je n’ai jamais assisté en près de 15 ans à Montréal. Je ne suis pourtant pas resté tout ce temps cantonné à un coin de la ville ayant miraculeusement échappé aux hordes islamistes nous assiégeant, car il ne faut pas se méprendre, c’est bien de cela qu’on parle. Je ne prétends pas que cela n’existe pas. Il y a des gens qui prient Dieu à Montréal comme il y en a qui le maudissent. Cependant, la prière en public n’a pas l’ampleur qu’on lui donne. On ne peut pas en dire autant de la pauvreté. Elle est visible à tous les coins de rue.

À vrai dire, ce ne sont pas des tapis de prière qui jonchent le sol, mais des guenilles et des abris de fortune. Ce ne sont pas des croyants qui occupent les trottoirs, mais des sans-abri enveloppés dans leur misère et qui prient pour qu’on leur donne de quoi tenir jusqu’au lendemain.

Si par moments Montréal a des allures de cités levantines, ce n’est pas à cause des appels à la prière lancés à partir d’invisibles minarets, mais bien en raison de tous ces camps de réfugiés dressés aux quatre coins de la ville et peuplés d’itinérants, ces réfugiés de l’intérieur. L’itinérance, contrairement à la prière dans la rue, est un problème criant.

Or, plutôt que de prendre des mesures pour venir en aide à ceux qui s’entassent et vivent dans une précarité absolue, le gouvernement préfère détourner le regard malgré l’approche de l’hiver. Pour des raisons purement électoralistes, il s’en prend à une tranche de la population immigrante qui n’a pas su se départir de ses coutumes religieuses en posant les pieds sur le tarmac de notre aéroport.

Certes, dans une société laïque comme la nôtre, la religiosité de certaines communautés pose des défis à l’aménagement du vivre ensemble. Mais doit-elle être considérée comme une priorité nationale ? J’en doute. Bien que je sois athée, la vie spirituelle des autres m’importe moins que la misère que je vois quotidiennement autour de moi. En tant que citoyen électeur, je me questionne sur la sensibilité de notre gouvernement. Sommes-nous à ce point déconnectés des réalités ?

À l’aube du 30e anniversaire du référendum de 1995, cette nouvelle charge contre la figure de l’Autre ravive de mauvais souvenirs. Elle rappelle les propos malheureux tenus par un premier ministre vaincu et brisé. Le rêve qu’il portait, celui de contribuer à l’avènement d’une république laurentienne venait d’être réduit à néant. Je n’avais que 15 ans à l’époque. Pendant longtemps, j’en ai voulu à ceux qui nous avaient volé notre pays, à ceux que ce grand personnage, dans un moment d’égarement, avait désignés comme étant les responsables de la défaite.

Avec le temps, cette colère m’a quitté au point que, bien des années plus tard, j’ai marié une immigrante, une chrétienne orthodoxe qui a fait bénir notre maison par le curé. Malgré mon athéisme, j’ai laissé faire. Certains pourraient y voir un accommodement raisonnable. Quoi qu’il en soit, nous avons passé 13 années ensemble. Nous avons eu deux enfants.

Un jour, mon père m’a dit, lui aussi dans un moment d’égarement, qu’il n’y avait plus de vrais Québécois. J’ai été surpris par ce commentaire sorti de nulle part. Mon père est un être foncièrement bon. Cependant, il lui arrive de parler sans réfléchir comme nous tous d’ailleurs et comme certains premiers ministres peut-être.

Je lui ai alors demandé ce qu’il pensait de ses petits-fils qu’il adore. Étaient-ils de vrais Québécois à ses yeux ? Il n’a pas répondu, mais il n’a jamais plus répété une idiotie pareille, car ses petits garçons sont québécois. Ils seraient sans doute étonnés d’apprendre qu’ils ne le sont pas, eux qui aiment tant rendre visite à la famille en Gaspésie et qui parlent à la maison notre langue, le français, soit la langue paternelle.

Si l’errance de mon père est pardonnable, celle d’un premier ministre l’est moins.

Il serait plus que temps que l’on « change de disque », que ce soit pour grappiller des votes au camp souverainiste ou pour œuvrer à l’avènement d’une république. Casser du sucre sur le dos des immigrants passe de plus en plus mal chez ceux qui côtoient au quotidien des gens venus d’ailleurs, et ce, en dépit de ce que peuvent laisser croire quelques sondages.

Que l’on soit autonomiste ou indépendantiste, soyons-le pour des raisons fonctionnelles et un peu moins culturelles. Qu’on s’en prenne donc aux ratés du gouvernement fédéral. Ils sont légion et bien documentés. À eux seuls, le refus d’accorder des permis d’étude aux étudiants originaires d’Afrique francophone, le recul du bilinguisme dans la fonction publique canadienne ou encore la médiocrité des services offerts par ses agences militent tout autant pour l’indépendance du Québec que pour une plus grande autonomie de la province au sein de la fédération. Small is beautiful devrait être l’adage de tout ce beau monde.

Opinion publié dans Le Devoir le 27 octobre 2025

Étiquettes

Laisser un commentaire